La commission d’histoire sur le Rwanda, l’accès aux archives classifiées et le ministère des Armées

Le chef d’état-major des armées françaises, le général François Lecointre, au mémorial du Mont Valérien, à Suresnes, le 18 juin 2018. © Charles Platiau/AP/Sipa

La commission d’histoire sur le Rwanda, ou plus exactement « de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994) », va bientôt rendre son rapport, prévu pour avril 2021.

Présidée par Vincent Duclert, cette commission a attiré l’attention ces dernières semaines sur la place qu’occupait en son sein une « historienne », Julie d’Andurain, tellement proche des thèses négationnistes qu’elle a dû se retirer, une fois ses propos révélés à la connaissance du public et à ses collègues historiens.

La commission sur le Rwanda se prend les pieds dans l’affaire Julie d’Andurain

En fait, la question Julie d’Andurain, que le président de la commission assure être réglée depuis août dernier alors que le débat a eu lieu début novembre, interroge une fois encore sur l’attitude du ministère des Armées (ex ministère de la Défense). Il apparaît en effet que Julie d’Andurain avait été « imposée » à la commission Duclert par ce dernier, quand bien même cette commission affirmait dans son rapport intermédiaire le « choix souverain de ses membres par son président sur la base d’une définition des profils de chercheurs ». (Rapport intermédiaire d’avril 2020, p 17)

Un ministère des Armées qui monte en première ligne pour protéger l’Etat plus que ses soldats

Rappelons pour commencer que c’est de son propre fait que le ministère des Armées se retrouve en premier ligne de la polémique sur le Rwanda.
Il aurait en effet très bien pu s’abstenir de prendre position sur la question, puisqu’il est une évidence qu’il n’était pas décisionnaire dans les interventions militaires et le soutien apporté aux forces génocidaires au Rwanda. Il eut été plus logique que les militaires, contraints par leur obligation de réserve et leur devoir d’obéissance, utilisent à bon escient leur culture du silence pour ne pas participer à ce débat particulièrement difficile, dans lequel la France a apporté son soutien à des génocidaires dans des conditions et pour des raisons qui n’ont jamais été expliquées.

La ministre des Armées, Florence Parly, a fait un choix risqué en acceptant de défendre coûte que coûte « l’honneur de militaires » alors que ce n’était pas le débat. Mes compagnons d’arme avaient exécuté avec professionnalisme la mission qui leur avait été fixée au Rwanda, même si certains avaient mis en doute sa pertinence et avaient été aussitôt écartés (V. le témoignage du général Jean Varret).

Il semble que la ministre cherche plutôt à protéger aveuglément une responsabilité d’Etat. Ultime tentative de couler une chape de plomb sur ce Tchernobyl des opérations extérieures de la France, après la toute soviétique « mission d’information » de Paul Quilès ?

L’implication personnelle du chef d’état-major des armées, François Lecointre, est d’un autre ordre. Il était capitaine, comme moi, lors de l’opération Turquoise et il n’a joué aucun rôle particulier dans ces évènements épouvantables, mais il a pris grand soin tout au long de sa carrière de construire une légende de chef charismatique, quitte à oublier ce qui n’y contribuait pas. L’épisode du Rwanda pourrait la ternir, surtout quand il sera établi que cette opération était une erreur catastrophique.

En tout état de cause, le ministère des Armées a communiqué de manière inhabituelle sur le sujet du Rwanda lors des 25èmescommémorations du dernier génocide du XXème siècle : colloque (fermé), discours lénifiants et réalisation d’un documentaire glorifiant l’opération Turquoise, sans compter l’interview d’un colonel à la retraite sur LCP pour piétiner toute réflexion sur les erreurs commises par la France.

Une relation inappropriée entre la commission Duclert et le ministère des Armées

Le fait que Julie d’Andurain ait été imposée par le ministère des Armées s’inscrit dans cette logique de verrouiller autant que possible le débat et de « protéger ses abattis », comme disent les démineurs. Que cette « historienne » en service commandée ait publié des propos s’appuyant sur des thèses négationnistes interroge plus encore la responsabilité effective des armées.

Mais il faut rajouter dans cette relation inappropriée entre la commission Duclert et le ministère des Armées le fait que ce dernier lui ait fourni son informatique, comme l’a révélé le rapport de mi-mandat de ladite commission. (Rapport intermédiaire d’avril 2020, p 23)

Normalement, dans n’importe quelle enquête, audit ou recherche, ce n’est pas au protagoniste mis en cause de fournir les systèmes d’information qui permettent de tout voir et contrôler des travaux de cette même commission. Que la commission Duclert ait accepté ce service du ministère des Armées laisse pantois. Elle aurait pu aussi demander au ministère un projet de conclusions…

Une autre question tient à l’accès aux archives classifiées du ministère. La commission est réputée en avoir l’accès libre et réservé. Mais face au volume des archives en question, il revient au ministère d’établir le catalogue de ces archives. Sans compter le fait que, depuis 25 ans, il se livre à un nettoyage sévère de ces documents, comme il l’avait d’ailleurs fait pour les archives de la guerre d’Algérie. Dès lors, il est pour le moins curieux qu’il puisse établir lui-même la liste des pièces accessibles.

Ouvrir enfin les archives aux chercheurs

In fine, se pose donc la question du monopole d’accès de ces documents à la seule commission, alors que cette dernière présente tous les signes d’un contrôle avancé par le ministère des Armées.
Me revient en mémoire cette étrange allusion que m’avait faite l’amiral Lanxade en quittant le débat que nous avait organisé Sciences Pô en mars 2019. La commission n’était pas encore annoncée, mais l’ancien chef d’état-major des armées et conseiller du président Mitterrand m’avait glissé avec un sourire condescendant « il va y avoir une commission pour travailler sur les archives, et ils ne trouveront rien… »

Pour que les travaux d’éclairage sur la réalité du rôle de la France au Rwanda puissent être menés dans de meilleures conditions que celles abîmées par la commission Duclert, il apparaît nécessaire désormais d’élargir à tous les chercheurs l’accès à ces archives.
Des archives classifiées, alors que les interventions militaires au Rwanda auraient été essentiellement « humanitaires » d’après les dires mêmes de la porte-voix du ministère des Armées, Julie d’Andurain…