Rwanda, le génocide contre les Tutsi, le génocide que nous aurions dû empêcher

Rwanda, la fin du silence, publié aux Belles Lettres en 2018


[Ce texte a été prononcé lors du débat organisé par Sc Po Paris face à l’amiral Lanxade le 20 mars 2019, avec comme titre :
Le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, l’histoire d’un déni ]

Depuis plusieurs années, je questionne le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Je ne devrais pas dire la France, mais plutôt une poignée de décideurs français, qui ont sans doute voulu soutenir un régime pour maintenir ce pays dans leur zone d’influence.
C’est l’histoire d’un Déni, un déni de démocratie, un déni de la vérité, un déni de la vie.

La France entre secrètement en guerre contre le Front patriotique rwandais (FPR), qu’elle assimile aux Tutsi

Cette histoire commence en 1990.
L’Etat français est entré secrètement en guerre au Rwanda, en l’absence de tout débat démocratique. Nos soldats sont allés soutenir un régime qui présentait tous les signes d’une volonté génocidaire, c’est à dire la destruction d’un groupe social, les Tutsi.
Et nous ne nous sommes pas contentés de former leur armée, exclusivement composée de Hutu, et de leur livrer massivement des armes. Nous nous sommes aussi battus à leurs côtés contre leurs ennemis du FPR que nous assimilions aux Tutsi, en nous inscrivant de fait dans leur idéologie génocidaire.
Mes camarades artilleurs ont ainsi stoppé plusieurs offensives du FPR, faisant des centaines de morts dans des combats qui n’étaient pas les nôtres et qui sont occultés aujourd’hui encore par l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées à cette époque, quand bien même le général Didier Tauzin décrit ces combats avec un enthousiasme inquiétant.

Canon d’artillerie 105 HM2, servi au Togo

Lorsque nos « amis » rwandais du régime Habyarimana nous parlaient de leur volonté de liquider les Tutsi, lorsqu’ils nous parlaient de leur « solution finale », nous détournions le regard. Nous avons même envoyé un officier de gendarmerie pour les aider à mieux organiser le fichage de leurs ennemis de l’intérieur.
Nous avons mis à l’écart toute critique, comme celles du général Jean Varret qui dirigeait alors la « coopération militaire ». C’est une absence totale de débat qui prévalait dans cette politique décidée exclusivement par l’Elysée et qui nous impliquait de plus en plus aveuglément face à la préparation et à l’organisation du génocide.
Est-ce notre arrogance qui nous a laissé penser que nous contrôlions la situation, alors que nous n’avons jamais cessé d’être manipulés par les extrémistes hutu, qui peut-être fascinaient certains d’entre nous ?
1993, le président Habyarimana accepte de signer des accords de paix et de partage du pouvoir avec le FPR, alors que Paris était plus que mitigé, certains à l’Elysée se désespérant de donner trop de pouvoir à ceux qu’ils appelaient les « khmers noirs ». L’un des conseillers du président disait même : « Arusha, c’est Munich ». Le soutien à ces accords de paix est l’un des principaux arguments des décideurs de l’époque mais ils ont oublié leurs réticences, ils ont oublié qu’ils ont continué à livrer massivement des armes au régime Habyarimana, ils ont oublié la suite des événements…

Un génocide perpétré par des extrémistes qui n’ont jamais perdu le soutien de Paris

6 avril 1994, le président Habyarimana rentre de Tanzanie où il a accepté les modalités de partage du pouvoir avec le FPR. Son avion va se poser sur l’aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Il est abattu par un tir double de missiles. Cet assassinat du président Habyarimana n’est pas le « déclencheur » du génocide, c’est la première étape d’un coup d’Etat mené par des extrémistes hutu qui s’emparent du pouvoir pour mener « leur » génocide, qu’ils préparent et financent depuis plusieurs années.
Malgré la disparition des boîtes noires de l’avion, le rapport balistique demandé par la justice française a permis d’établir en 2012 que les missiles, des SAM16, avaient été tirés par 3/4 avant, du camp militaire de Kanombe, le camp des unités d’élite de l’armée rwandaise, formées par la France encore à cette date. Ce camp de Kanombe avait été commandé par le colonel Bagosora, un des cerveaux du génocide.


J’ai rarement lu un rapport balistique aussi clair. Et je l’affirme avec d’autant plus de force que l’expérimentation de ces missiles portables a été mon premier métier. Il n’y a plus de doutes aujourd’hui sur l’origine des tirs et sur les organisateurs de l’attentat : ce sont des extrémistes hutu, comme l’avait analysé la DGSE dès le départ. On peut dès lors s’interroger sur les manipulations – disparition de la boîte noire et diffusion de fausses informations – qui ont pollué l’enquête judiciaire et les esprits jusqu’à maintenant.
Le 7 avril 1994, les extrémistes hutu assassinent la Première ministre, une démocrate, et massacrent mes camarades belges qui ont essayé de la défendre. Ils se débarrassent de tous ceux qui pourraient faire obstacle à leur prise du pouvoir.
François de Grossouvre, conseiller Afrique du président Mitterrand, se suicide à l’Elysée pour des raisons qui n’ont jamais été élucidées.
Le 8 avril, les pires extrémistes hutu constituent un « gouvernement intérimaire », le GIR, dans les locaux de l’ambassade de France. Ce gouvernement va faire voler en éclats les accords d’Arusha et conduire le génocide, préparé pendant des années sous notre nez : pendant 100 jours, ils vont massacrer un million de personnes, adultes, enfants et vieillards, d’une manière systématique et implacable, à raison de 10 000 morts par jour, 15 fois Oradour-sur-Glane tous les jours, pendant trois mois et 10 jours.

Et pourtant, ces génocidaires ne perdront jamais le soutien de Paris.
Les émissaires du GIR sont reçus à l’Elysée fin avril, en plein génocide, et des armes leurs sont livrées régulièrement.
Le 10 juin 1994, la France organise les 50èmes commémorations d’Oradour-sur-Glane. « Plus jamais ça » répétera le président Mitterrand dans un discours émouvant. « Plus jamais ça » alors que « ça » est justement en train de se commettre, sous nos yeux.
Le gouvernement génocidaire rwandais ne sera jamais condamné publiquement par l’Etat français. L’Elysée interviendra même pour qu’il ne soit pas arrêté par l’armée française quand il se réfugiera dans la zone Turquoise.

L’opération Turquoise, ultime tentative de conserver le contrôle ?

Le 22 juin 1994, au 75ème jour du génocide et alors que les forces gouvernementales perdent pied face au FPR – il est vrai que les forces gouvernementales dépensent plus d’énergie à massacrer les civils tutsi qu’à se battre contre les soldats du FPR –, la France déclenche l’opération Turquoise pour « stopper les massacres au Rwanda », sous mandat humanitaire de l’ONU.
Curieuse concordance de temps, alors que la France est gouvernée par ce curieux régime de cohabitation, Mitterrand-Balladur, où le partage des responsabilités est des plus équivoques entre les deux principaux partis français. Mais je vais laisser de côté ce débat politique pour rappeler simplement ce qui s’est passé sur le terrain des opérations, loin des salons feutrés de l’Elysée et de ses stratèges glacés.


Je participe à l’opération Turquoise comme officier d’artillerie, intégré dans une unité de combat de la Légion étrangère. Nous partons avec les meilleures unités de combat de l’armée française. Et nous débarquons aux côtés des génocidaires. La neutralité est massacrée d’emblée. L’ennemi, c’est le FPR. Imaginez si, 40 ans plus tôt, le Corps expéditionnaire français avait débarqué en 1944 du côté des Nazis…
D’abord nous essayons de remettre au pouvoir le gouvernement génocidaire. Nous avons reçu l’ordre de préparer un raid terrestre sur Kigali, pour aller défendre ce gouvernement que nous soutenions, alors que la DGSE avait informé nos décideurs que celui-ci organisait les massacres de grande ampleur et qu’il fallait le condamner publiquement pour ne pas être un jour accusés de complicité…
Cette mission n’a pas été effectuée, elle a été remplacée le 30 juin 1994 par l’ordre de stopper par la force les ennemis des génocidaires, le FPR. Je suis chargé de guider les bombardements de nos chasseurs, aux premières lueurs du 1er juillet.
Nous sommes arrêtés à la dernière minute, par l’Elysée, sans doute à cause du drame de Bisesero.

Avion de chasse Jaguar en Afrique

L’affaire de Bisesero est emblématique de la duplicité de la politique française mais elle est aussi la démonstration du génocide par les forces gouvernementales.
Trois jours plus tôt, le 27 juin, mes camarades des forces spéciales patrouillent dans ces collines à l’ouest du Rwanda. Ils cherchent l’avant-garde du FPR. Malheureusement, ce ne sont pas les redoutables soldats du FPR qu’ils trouvent, mais des morts-vivants, des survivants des massacres perpétrés chaque jour par les forces gouvernementales, soldats de l’armée, gendarmes et milices qui sont si proches qu’on les confondrait.
Mes camarades promettent de revenir pour secourir ces rescapés, mais, de retour à leur base, ils reçoivent l’ordre de ne pas y retourner car ce n’est pas leur mission. Nous sommes venus pour stopper le FPR.
Mes compagnons d’armes sont ulcérés par cette situation indigne, alors ils décident trois jours après, le 30 juin, de désobéir sans le dire. Ils décident de « se perdre » pour retrouver ces rescapés et ils se font accompagner de suffisamment de journalistes pour que la situation ne puisse plus être cachée. Entre-temps, les deux-tiers des survivants de Bisesero ont été massacrés par les forces gouvernementales que nous continuions à soutenir de fait par notre présence même.
J’imagine sans peine combien il a dû être difficile pour l’Elysée d’expliquer Bisesero aux médias internationaux, ce que nous faisions dans cette mission « humanitaire ». Et c’est sans doute pour cela que ces décideurs ont renoncé à nous envoyer nous battre contre les seuls ennemis des génocidaires, les soldats du FPR.

Une mission humanitaire, d’une main…

À partir du 1er juillet 1994, nous allons effectivement accomplir une mission humanitaire, d’une main. Avec la compagnie de Légion étrangère dans laquelle je suis intégré, nous allons protéger le camp de réfugiés de Nyarushishi qui compte près de 10 000 rescapés. Nous allons aussi mener des missions de sauvetage de personnes menacées… dans la zone humanitaire sûre, car cette « ZHS » protégée par l’armée française n’est « sûre » que pour les forces génocidaires.

Opération d’extraction de la famille Correa

De l’autre main en effet, nous continuons à soutenir les génocidaires. D’abord nous protégeons leur fuite grâce à la ZHS : ils peuvent se replier avec armes et bagages ainsi que les réserves pillées à Kigali. Ils emmènent même la radio Mille Collines, leur média de la mort, que nous laissons traverser la zone Turquoise sans craindre le FPR.

Nous permettons aussi au gouvernement génocidaire de provoquer l’exode de leur population, un drame humanitaire qui fera quelques dizaines de milliers de morts supplémentaires. Ce gouvernement est d’ailleurs exfiltré de la zone Turquoise, où l’Elysée intervient pour nous empêcher de les neutraliser. Les responsables du génocide sont escortés poliment par l’armée française jusqu’à la frontière zaïroise (future République démocratique du Congo) pour aller s’installer dans des camps de réfugiés de l’autre côté de la frontière et continuer leur « résistance ».


Nous aurions pu nous arrêter là, mais nous avons fait pire encore : nous leurs avons livré des armes. J’ai assisté, sur la base militaire française de Cyangugu, à une de ces livraisons d’armes qui étaient transportées par nos propres camions au « profit » des génocidaires. Nous avons ainsi transformé les camps de réfugiés au Zaïre en bases militaires, alors même que nous étions sous embargo de l’ONU et mandat humanitaire. Nous avons continué à leur livrer des armes quand bien même nous savions tout de leur rôle génocidaire à ce moment-là. Car ceux-ci le racontaient, ils s’en vantaient même…
Certes, nous n’avons jamais participé au génocide. Mais ce que nous avons fait s’appelle en français soutenir des génocidaires. Voilà en quoi a consisté aussi l’opération Turquoise.

Sarajevo, le goût amer de la récidive

Je suis effaré par ce que nous avons fait, mais j’ai peu de temps pour élaborer sur le sujet car nous récidivons avec Sarajevo. Nous partons avec une autre unité de Légion étrangère pour protéger d’une main la capitale bosniaque, tandis que de l’autre nous devons appliquer strictement l’ordre de ne pas s’en prendre aux agresseurs, parce qu’ils sont nos « amis serbes ». Nous assistons impuissants au martyr de Sarajevo. Le seul endroit où nous avons reçu l’ordre de « riposter sans tirer » et, bien pire, de « laisser tuer des légionnaires plutôt que de s’en prendre aux Serbes ».

TACP en guidage, Sarajevo 1995.

Mes camarades vont cependant désobéir pour reprendre le pont de la Verbanja et nous cacher derrière ce micro-événement qui masquera notre inaction contre les Serbes. Une politique qui va nous mener tout droit aux massacres de Srebrenica, auxquels nous allons assister, paralysés par une politique indigne consistant à protéger nos « amis », même quand ils deviennent des agresseurs, des tortionnaires et des massacreurs.
Un légionnaire, qui était avec moi au Rwanda, me demande combien de fois nous allons laisser se répéter cette même histoire…

25 ans de questionnements

Quel rôle a joué la France dans le génocide des Tutsi ?
Je m’interroge, je ne comprends pas ce que nous sommes venus faire sous un couvert humanitaire. Je ne comprends pas quel rôle nous avons joué dans ce génocide, le dernier génocide du XXème siècle, celui que ma génération aurait dû empêcher.
Et je suis indigné quand je réalise que nous avons soutenu ces génocidaires, avant, pendant et même après le drame.
Je m’interroge au sein de l’armée, qui n’a jamais interdit un débat interne, mais qui en aucun ne peut être public. Rien ne doit être écrit, ni exporté en dehors de la « grande muette ».

1998, Patrick de Saint-Exupéry publie une série d’articles dans Le Figaro. En réaction, une Mission d’information parlementaire (MIP) est constituée. Elle est présidée par Paul Quilès et doit faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda.
Je demande à être auditionné par cette Mission, mais je suis immédiatement rappelé à l’ordre par le cabinet du ministre de la Défense qui me dépêche une conseillère. Elle est très claire, je suis sous « obligation de réserve » et c’est le ministre qui décide seul de qui pourra témoigner devant la MIP et même de ce qui pourra y être dit. Curieuse conception de la démocratie cependant je m’y plie, je crois aussi que je suis déjà méfiant quant au rôle réel de la MIP…
Je continue à parler du Rwanda, dans des cercles privés pour des discussions vite écourtées.

2005, je quitte l’armée, comme lieutenant-colonel. Je n’ai aucun contentieux avec l’institution militaire qui m’a toujours très bien traité, mais je veux rentrer dans le monde des entreprises.
Cependant j’ai ce sujet en moi, au fond de ma poche et sans doute pas très loin du cœur. Alors qu’en faire ? Je rencontre à deux reprises deux grands reporters d’un très grand journal français. Je leur raconte mon témoignage, mais les deux me font la même réponse troublante : tout cela est connu, et ne présente plus guère d’intérêt…
Je suis désolé de ne pas avoir témoigné à temps et je me contente d’écrire partiellement ces souvenirs dans un petit roman, Vent sombre sur le lac Kivu, que je publie sans intention particulière puisque tout cela est réputé être connu. Mais cette « fiction » n’échappe pas à un ami qui est secrétaire général de la fondation Jean Jaurès, le think tank du Parti socialiste. Il m’invite à un colloque début 2014, qui prépare en réalité les vingtièmes commémorations du génocide.

Opération Turquoise au Rwanda, 1994

La séance est présidée, de fait, par Paul Quilès, l’ancien président de la Mission d’information parlementaire de 1998, la MIP.
Avec une naïveté déconcertante, je raconte mon témoignage, comment nous sommes intervenus du côté des génocidaires pour les remettre au pouvoir, comment nous avons ensuite protégé leur fuite avant de les réarmer dans des camps de réfugiés, alors que nous étions sous mandat humanitaire…
Aux quarante mâchoires qui se décrochent autour de la table, je comprends brusquement que mon témoignage n’est pas si connu. Et qu’il pose problème, en particulier quand Paul Quilès m’enjoint, avec une nervosité certaine, de ne pas témoigner publiquement « pour ne pas troubler l’image qu’ont les Français du rôle que nous avons joué au Rwanda ».
Je décide alors de témoigner. Paul Quilès ignore sans doute que la première qualité d’un officier est de savoir dire non.

Je commence par France Culture. Mon témoignage fait mal, je suis un ancien officier supérieur de l’armée de terre, breveté de l’école de guerre et maintenant cadre dirigeant dans de grandes entreprises, je n’ai pas encore de fêlure au crâne.
Bien pire, je témoigne de ce que j’ai fait en opération, et ce morceau de réalité est définitivement incompatible avec la version officielle qui est une fable.
Les réactions sont immédiates, la plus intéressante est sans doute celle d’Hubert Védrine, l’ancien secrétaire général de l’Elysée. Il se précipite devant la commission de la Défense nationale, en avril 2014, pour leur asséner deux points importants :
« Le capitaine Ancel [je suis pourtant lieutenant-colonel] a été démenti par ses chefs ». La vérité est une question de hiérarchie dans son esprit, nous voilà rassurés…
Et puis, à un député qui ose le questionner sur la livraison d’armes à laquelle j’ai assistée, Hubert Védrine s’emporte, « ce n’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies. C’est la suite de l’engagement d’avant, […] ça n’a rien à voir avec le génocide ».
Voilà, la France a livré des armes au génocidaires, avant, pendant et même après le génocide, mais dans l’esprit de l’ancien secrétaire général de l’Elysée, ça n’a pas de rapport avec le génocide…


Alors je continue à témoigner, une centaine de fois pour être sûr d’être bien entendu, quand je reçois un message très clair d’un grand service de l’Etat : « ce serait dommage, lorsque tu seras moins présent dans les médias, que tu te fasses écraser sur un passage piéton ».
J’ai d’abord pensé ne plus traverser la rue, mais c’est un peu compliqué. J’ai compris que j’avais aussi la possibilité d’écrire intégralement mon témoignage. Je publie en mars 2018 Rwanda, la fin du silence aux Belles Lettres, avec l’aide de Stéphane Audoin-Rouzeau, un grand professeur d’histoire des conflits contemporains. J’en recommande la lecture à tous ceux qui veulent juger par eux-mêmes.

Rwanda, la fin du silence, Belles Lettres


J’ai publié mon témoignage intégral pour que ma mémoire ne puisse pas être effacée. Je l’ai écrit pour que le silence, des militaires comme des décideurs, ne se transforme pas en amnésie.

Une question de démocratie, de dignité et de décence

Je voudrais conclure ce récit par les raisons pour lesquelles je témoigne, trois sont essentielles.
Un sujet de démocratie d’abord, ou plutôt d’exigence démocratique à une époque où se multiplient les pressions sécuritaires pour réduire nos libertés et notre propre capacité de jugement. Nous avons le droit, nous avons le devoir de savoir. Cela pose la question de l’ouverture des archives de cette brillante opération « humanitaire », condition essentielle à la connaissance de la réalité. Car c’est à nous, citoyens français, qu’il appartient de juger de ce qui a été fait « au nom de la France ». Or, depuis 25 ans, ces archives sont soigneusement bouclées par des décideurs qui osent affirmer dans le même temps qu’il ne s’est rien passé, « qu’il n’y a rien dans ces archives »…
La deuxième raison est une question de dignité. Le métier militaire est difficile mais je l’ai aimé et j’ai apprécié plus encore le professionnalisme de mes compagnons d’armes. Alors je veux savoir pourquoi nous avons été compromis dans cette opération qui n’aurait jamais dû se dérouler ainsi et qui ne doit surtout jamais se reproduire. Lorsque j’entends le témoignage du coordinateur de la Croix-Rouge sur les livraisons d’armes via l’aéroport de Goma, qui était notre base opérationnelle, je ne peux imaginer que cela ait pu se dérouler sans l’accord du chef d’état-major des armées et sans une décision de l’Elysée.
Il s’agit enfin d’une question de Décence. En reconnaissant la vérité, nous pourrions honorer décemment la mémoire du million de victimes que nous n’avons pas su éviter, dans le dernier génocide du XXème siècle, celui que ma génération aurait dû empêcher.

[Ce texte a été prononcé en grande partie lors du débat organisé par Sc Po Paris le 20 mars 2019
Le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, l’histoire d’un déni,
Introduction par Jacques Semelin et Laurent Larcher
Amiral Lanxade à 33’ et 1h04
Guillaume Ancel, à 49’ et 1h12 (conclusion)
Questions des étudiants à 1h20]

5 commentaires sur “Rwanda, le génocide contre les Tutsi, le génocide que nous aurions dû empêcher

  1. Bonjour, j’avais peut-être déjà lu votre billet, mais aujourd’hui j’ai pour la première fois écouté la vidéo du débat de 2019 (à partir du début de l’intervention de l’amiral Lanxade). Je suis bluffé par les 7 minutes de réponse de l’amiral, qui – malgré leur ton – ne démentent aucun des faits précis que vous avez énoncés dans votre intervention. Au demeurant sa propre intervention initiale me semble très intéressante et très juste – jusqu’aux toutes dernières phrases, pitoyables.

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  2. Deux passages clés m’ont accrochés lors de mon premier parcours :
    « Je ne devrais pas dire la France, mais plutôt une poignée de décideurs français »
    « la première qualité d’un officier est de savoir dire non »
    Mon histoire personnelle ne fut pas de finir écrasé par un chauffard mais « légalement assassiné » par un conseiller des ministres… qui a oublié un autre défaut des officiers : de solides têtes de pioches 🙂
    Merci d’avoir ouvert une voie qui semble par trop fermée tant aux forces armées qu’aux forces de l’ordre, sans parler des forces du feu ou des forces de la santé de nos jours…

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  3. Le témoignage de l’ex-lieutenent-colonel, Guillaume Ancel, est un appel à la conscience démocratique du peuple francais. Celui-ci est en droit d’exiger la vérité sur les décisions du pouvoir à Paris dans la crise rwandaise et le déroulement du dernier génocide du XXème siècle. Mais une telle exigence, de la part de l’opinion publique en France, ne peut surgir que grâce au témoignage des acteurs envoyés sur le terrain au Rwanda pour une mission indigne de l’honneur de la France et de son armée.

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  4. Mr. Ancel je vous admire pour votre témoignage plein de courage et détermination pour rétablir la vérité. Un proverbe rwandais dit que « la vérité passe par le feu sans se bruler ». Bravo pour cette nouvelle page d’histoire que vous inscrivez.

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