RWANDA : LA MÉMOIRE DÉFAILLANTE DE M.HOGARD

Le débat sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda mérite un peu mieux que les attaques personnelles lancées régulièrement par M.Hogard, dont cette tribune intitulée les « révélations » de la revue XXI sur la France au Rwanda font pschitt.

M.Hogard semble avoir beaucoup oublié, en commençant par le respect pour les anciens compagnons d’armes, même quand on ne partage pas leur avis.
Pour rafraîchir cette mémoire défaillante, je vais d’abord rappeler quelques faits dont j’ai été témoin au Rwanda pendant l’opération Turquoise.

QUELQUES FAITS SUR L’OPÉRATION TURQUOISE

Dans une première période, du 22 au 30 juin 1994, nous avons tenté de remettre au pouvoir le gouvernement que la France avait soutenu pendant quatre ans alors même que celui-ci était l’organisateur du génocide des Tutsis :
Ordre préparatoire pour un raid sur Kigali, puis opération de frappe aérienne que je devais guider contre les colonnes du FPR (les soldats « ennemis » de ce gouvernement). Cette frappe a été annulée in extremis, au lever du jour du 1° juillet, probablement par le PC Jupiter sous l’Élysée.
M.Hogard explique volontiers le contraire bien qu’il ne fut pas là, en effet il n’est arrivé sur le théâtre que le 29 ou le 30 juin selon ses versions. Pour ma part je ne pense pas que quiconque soit mieux placé que moi pour dire ce que j’ai fait…

Deuxième période à partir du 1° juillet 1994 avec la création d’une « zone humanitaire sûre » qui a surtout permis de protéger la fuite des génocidaires vers le Zaïre (aujourd’hui la RDC). À cette époque, je me suis occupé d’extractions de rescapés dans cette zone « sûre » que nous contrôlions si peu. C’est M.Hogard qui m’a raconté, à plusieurs reprises, son trouble de devoir escorter poliment les organisateurs du génocide, car il avait reçu comme directive stricte de ne pas les arrêter, ni les neutraliser mais de s’assurer qu’ils veuillent bien quitter la zone (ie qu’ils partent au Zaïre). J’ai vu plusieurs de ces responsables du génocide transiter sur la base de Cyangugu, et je ne n’en aurais rien su si M.Hogard n’avait pris le temps de me l’expliquer et de me raconter combien cela l’interrogeait …

Troisième période, que je situe sur la 2° quinzaine de juillet, les forces gouvernementales et leurs responsables se sont débandés au Zaïre et nous leurs livrons des armes, dans des camps de réfugiés, alors que nous sommes dans une mission « humanitaire » et accessoirement sous embargo des Nations Unies. Livrer des armes à des génocidaires et transformer des camps de réfugiés en bases militaires est un acte d’une extrême gravité, susceptible d’être qualifié pénalement de complicité dans un crime imprescriptible, le génocide. À quoi cela sert-il de continuer à nier ces livraisons d’armes, alors que l’origine de la directive est désormais connue (l’Elysée), de même que l’intermédiaire financier (des banques encore liées à l’Etat) et les conditions de leur livraison effective sur le terrain (aéroport de Goma, convois de transport)…
M.Hogard avait eu le plus grand mal à défendre et obtenir de désarmer les factions qui traversaient notre zone, j’imagine son désarroi quand il a dû nous justifier une telle livraison sous couvert « d’éviter que les forces gouvernementales ne se retournent contre nous »…

LES ATTAQUES DÉPLACÉES DE M.HOGARD

En fait, je viens de parler du lieutenant-colonel Hogard, l’officier droit et mesuré qui assumait le commandement d’un des groupements tactiques, dans cette mission d’intervention particulièrement difficile en 1994. Je ne reconnais en rien le M.Hogard qui tente aujourd’hui de me décrédibiliser avec véhémence, bien qu’il ne me connaisse pas et ne me connaîtra sans doute jamais. La logique voudrait plutôt qu’il contredise mon témoignage, si cela était encore possible.

Le Point a dû publier ce droit de réponse destiné aux amnésiques qui n’arrivent plus à se souvenir de ce qui s’est passé et qui permettent aux décideurs politiques de l’époque de ne pas avoir à s’expliquer.

J’ai ensuite été approché par un grand gaillard, se présentant comme un « proche de M.Hogard, pour me « parler » puis me « convaincre » et finalement me menacer. Cela n’a pas fonctionné. Je n’ai pas apprécié le procédé que je croyais ne plus exister que dans les films de barbouzes.
Je me suis donc interrogé sur les activités de M.Hogard :
M.Hogard vend de l’information, pardon de « l’intelligence stratégique et de la diplomatie d’entreprises », à travers une société spécialisée dont l’activité réelle doit être en rappport avec son nom, ÉPÉE. Un ancien compagnon d’armes y est décédé dans des conditions pour le moins étranges, criblé de balles dans un hôtel en Libye.

Ensuite M.Hogard a repris son entreprise de discrédit en affirmant cette fois que j’aurais un compte à régler avec l’armée parce que celle-ci avait refusé de me réintégrer. Je ne vois pas comment l’armée aurait pu me refuser… ce que je n’ai jamais demandé. Je n’ai aucun contentieux avec l’institution militaire qui m’a fort bien traité et que je respecte pour son grand professionnalisme. Mais sur le site du colonel2.0 comme dans son livre, les larmes d’un crocodile, M.Hogard espère « démolir » mon témoignage avec cette accusation ridicule, pour la cinquième fois, sans apporter aucun argument vraiment utile sur le débat de fond.

QUEL DÉBAT SUR LE RÔLE DE LA FRANCE AU RWANDA ?

Alors quel objectif poursuit M.Hogard ? Détourner l’attention dans le débat sur le rôle de la France dans le génocide de Tutsis au Rwanda ? Masquer sa peur d’être rattrapé par la gravité des actes commis, alors même qu’il s’agissait d’une politique décidée au plus au niveau de l’Etat ? S’essayer dans une polémique digne des meilleures heures de Donald Trump, – Il a même découvert twitter –, mais qui n’a pas sa place dans un débat aussi grave ?
Heureusement il peut citer le « professeur Bernard Lugan », celui qui explique que les livraisons d’armes aux génocidaires seraient justifiées par le fait que le président Kagame aurait fait assassiner le président Habyarimana. Ne cherchez pas le lien, il relève d’une autre logique et s’expose d’ailleurs sur ce site… Bernard Lugan ne cache pas ses liens avec la droite la plus extrême. J’espère simplement qu’il n’est plus enseignant à l’Ecole militaire, ni ailleurs dans les milieux militaires.
Si M.Hogard comme le professeur Lugan souhaitaient réellement mettre fin à ce questionnement, ils défendraient l’ouverture réelle des archives pour que nos concitoyens puissent juger par eux-mêmes plutôt qu’on ne leur explique ce qu’ils doivent en penser.

Le débat auquel je souhaite participer est celui de la responsabilité des hommes politiques de l’époque qui ont décidé de ces opérations, au nom de la France, en notre nom à tous et qui ne se sont jamais expliqués.
Nous, militaires, avons déjà dû assumer une mission que nous n’aurions pas dû mener, ce n’est donc pas à nos compagnons d’armes de se justifier, encore moins de s’ériger en bouclier de responsables politiques qui ne veulent pas assumer leur responsabilité.
Personnellement, je continuerai à témoigner aussi longtemps que nous ne connaîtrons pas le rôle de la France dans le dernier génocide du XX° siècle, celui qui n’aurait jamais dû se produire, celui que nous n’avons pas su empêcher et qu’il ne sert à rien de cacher.

Guillaume Ancel, ancien lieutenant-colonel, vétéran de l’opération Turquoise

2 commentaires sur “RWANDA : LA MÉMOIRE DÉFAILLANTE DE M.HOGARD

  1. Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur le rôle du colonel Jacques Hogard au cours du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, voyez cette étude de 44 pages :

    Cliquer pour accéder à Hogard.pdf

    Extrait : Le lieutenant-colonel Hogard a vu en arrivant, notamment à Bisesero[,] « l’horreur des massacres auxquels viennent de se livrer les milices extrémistes Hutu Interahamwe, et parfois la population elle-même, prise dans le lâche engrenage de la terreur révolutionnaire » (Jacques Hogard : Les larmes de l’honneur – 60 jours dans la tourmente au Rwanda. Hugo doc., 2005, p. 39). Il reconnaît qu’un « abominable génocide vient d’ensanglanter le pays » et considère que « ce fait majeur discrédite totalement le gouvernement qui n’a pas voulu ou su empêcher la tragédie » (Ibidem, p. 47). Il a pourtant collaboré avec les organisateurs de ce génocide dans sa zone de responsabilité de Cyangugu. Il a contribué à armer les miliciens dans l’hypothèse d’une arrivée de l’armée du FPR. Ce qui leur a permis de continuer leur « travail » d’élimination des Tutsi, ceci en toute quiétude, car ils se savaient protégés du FPR par les Français.
    À l’exclusion de toute autre personne ou institution, le lieutenant-colonel
    Hogard disposait de l’autorité dans la zone de Cyangugu. En décidant de garder le personnel politique, administratif, militaire, qui avait organisé les massacres et de collaborer avec lui, en laissant les tueurs des milices poursuivre les assassinats de Tutsi ou même en le leur demandant, il a contribué pleinement à la poursuite du génocide dans sa zone de responsabilité. L’ensemble des directives qu’il a reçues de sa hiérarchie et l’application décrite ci-dessus qu’en a fait le lieutenant-colonel Jacques Hogard autorise le ministre rwandais de la justice Tharcisse Karugarama à écrire dans son Communiqué du 5 août 2008 que « les militaires français de Turquoise et leurs commanditaires ont pleinement pris en charge le projet génocidaire » et à citer nommément le lieutenant-colonel Hogard parmi les personnalités politiques et militaires françaises les plus impliquées dans le génocide (République du Rwanda, Communiqué du rapport de la Commission nationale indépendante chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994, remis le 16 novembre 2007, le Gouvernement rwandais retient les faits et considérations suivants, Kigali, 05 août 2008, signé Hon. Tharcisse Karugarama, Ministre de la Justice/Garde des Sceaux, pp. 12-13).

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